10 déc. 2025

Communication et IA : le tournant de l'ingénierie éditoriale

Longtemps cantonnée à une fonction de production, la communication éditoriale tarde à faire sa révolution data. Avec l'IA générative, son enjeu stratégique s'est pourtant déplacé de la production de textes et d'images, devenue triviale, vers une frontière plus technologique où la maîtrise de la donnée est devenue un impératif : l’ingénierie éditoriale.

Le piège de la productivité : quand l'IA fabrique du bruit

Le premier réflexe des entreprises face à l'IA générative a été celui de la productivité. Rédiger un article de blog en 30 secondes, décliner une campagne en dix langues instantanément : la promesse était séduisante. Mais elle a enfermé de nombreuses agences et équipes de communication d’entreprises dans une impasse. En effet, si tout le monde peut désormais produire du contenu à valeur ajoutée faible et à coût quasi nul, l’intérêt à payer cette production s'effondre. Le risque est sous nos yeux. Une infobésité qui s'accroît, se généralise et dilue un peu plus chaque jour la voix de l'entreprise dans un bruit ambiant standardisé par les mêmes algorithmes, disons une sorte de "gépétisation" globalisée.

Soyons clair : la valeur ne réside plus tant dans la production de contenus à obsolescence quasi immédiate, que dans l'intelligence qui la précède et la prolonge. Dans cette vision du contenu, le communicant n’est plus comme un artisan des mots, mais un architecte de l'ensemble des informations accumulé par l'organisation. Pour le dire autrement, le communicant est aujourd’hui un gestionnaire d’actifs constitués par le capital éditorial d’une organisation.

Les 3 piliers d'une mutation de la communication sous la pression de l'IA

Si la production n'est plus le nerf de la guerre, où se déplace la valeur ? La réponse tient dans la bascule fondamentale de la gestion des signes à la maîtrise des données. Il ne s'agit plus pour l'entreprise de simplement "publier", mais de structurer son information, de la piloter et de la valider comme un véritable actif industriel. De fait, la fonction éditoriale quitte les rives d’une approche « intuitive » pour gagner celles d’une méthode systémique. Ainsi, pour transformer une direction de la communication en un partenaire stratégique, l'ingénierie éditoriale augmentée doit s'appuyer sur 3 piliers : 1. la maîtrise d'une sémantique "propriétaire" ; 2. La rigueur des métriques ; 3. La monté en compétence technique du capital humain.

Pilier 1 : la sémantique propriétaire, ou la valorisation du capital éditorial

Chaque entreprise est donc assise sur un trésor souvent inexploité : son capital éditorial (connaissances individuelles et collectives, discours, règles métiers non structurées, savoirs internes, documents techniques, verbatims clients, historiques de projets, culture de la marque, etc.). Le problème ? Ce capital est souvent dispersé et "siloté", non-structuré et donc invisible dans la plupart des tableaux de bord de l'entreprise.

L’une des missions de l'ingénierie éditoriale consiste à transformer ce « vrac » en un lac de données structurées. Concrètement, il convient d’organiser ce capital épars pour le rendre "lisible" par des architectures IA (comme le RAG - Retrieval Augmented Generation), afin de garantir que chaque contenu généré par l'IA sera :

  1. Factuellement exact (zéro hallucination).

  2. Propriétaire (basé sur l’expertise de l’entreprise, pas sur celle de l'IA).

  3. Traçable (source vérifiable).

Dès lors, le communicant devient le gardien et l’architecte des "sources" de la marque.

Pilier 2 : la métrique, passer du doigt mouillé à la décision objectivée

Trop souvent, la communication est pilotée à l'instinct ou aux vanity metrics (nombre de vues, likes). Or, l'IA permet de connecter la communication à la chaîne de valeur de l'entreprise grâce à des analyses systématiques. Toutefois, ces analyses ne sont que partiellement effectuées avec les outils d'IA génératives de marché (ChatGPT, Gemini, Mistral, Copilot, etc.). Si elles sont très performantes pour la production et le prompting, elles restent encore imprécises avec des métriques métiers complexes (comme le poids sémantique de thématiques ou la mesure robuste de mesures comparée).

L'ingénierie éditoriale remplace l'intuition par la mesure :

  • Au lieu de mesurer la volumétrie, on mesurera le poids sémantique (pour une narration objectivée) : quelle est la part de voix réelle d’une marque sur une thématique clé (i.e "RSE", "Innovation", "éco-conception") par rapport à ses concurrents ?

  • Au lieu de mesurer la tonalité, on mesurera l'alignement discursif : l'écart entre le message émis par l’entreprise et sa perception réelle par les audiences.

  • Au lieu de supposer, on prédira la performance : utiliser l'IA pour simuler l'impact d'un message avant même sa diffusion.

L'objectif recherché réside dans la possibilité pour la direction de la communication d’arriver en CODIR non pas avec des "je pense que", mais avec des corrélations chiffrées entre l'effort éditorial et les objectifs business.

Mais sur ce terrain de la "preuve", il reste encore énormément à faire pour accompagner les directions de la communication vers une chaîne de valeur data-centrée. Deux exemples d'outils :

  • L'IA gardienne de la marque : des modèles d'IA entraînés à évaluer la cohérence entre les contenus produits et le Tone of Voice de la marque ou encore avec des réglementations spécifiques.

  • L'IA d'orchestration multimodale : des systèmes agentiques capables de croiser des données textuelles avec des données moins structurées (audio, vidéos internes) pour en tirer des insights stratégiques pour l'équipe éditoriale.

Pilier 3 : l'humain, l'urgence de la compétence

Comme Matthieu Butel l'indique dans cet article, il ne s'agit pas bien sûr de transformer les communicants en data engineer ou data scientists, mais de les techniciser. Comme d'autres, nous pensons que si l'IA ne remplacera pas l'humain, l'humain qui ne saura pas l'utiliser sera remplacé par ceux qui le sauront ! Le défi est cependant immense car le système éducatif est en retard. Les universités et écoles de communication forment encore d'excellents planneurs strat', responsables éditoriaux (content manager), chefs de projet, etc., mais ignorent souvent les méthodologies de la donnée (nettoyage, mesure, traçabilité, stockage…). Les nouveaux entrants sur le marché ne possèdent donc pas (encore) ces compétences.

Et compte tenu de l'inertie du système éducatif en France, l'entreprise doit donc, pour l'heure, assurer elle-même la formation de ses équipes à des compétences hybrides. A titre d’exemples :

  • Le fonctionnement des IA : savoir créer des sources de connaissance pour l'IA en produisant des documents structurés et adaptés au découpage en chunks (morceaux) de l'IA. Une démarche utile pour mieux indexer les documents dans une base vectorielle et rendre la récupération (RAG) plus efficace.

  • Le prompt engineering stratégique : savoir donner à la machine des instructions (prompt système) de contexte, de ton et de contraintes, ou encore intégrer des techniques de few-shot-learning dans les prompts utilisateurs. Savoir différencier le prompting pour l'usage d'un LLM public, des instructions destinées à une architecture RAG privée.

  • Le pilotage d'agents IA : savoir déléguer, superviser et valider le travail d'assistants virtuels spécialisés. Pouvoir générer ainsi des contenus spécifiques pour différentes plateformes et formats à partir d'un même corpus. Construire avec l'IA un opérateur système qui garantit la cohérence cross-canal

  • La culture qualité appliquée à la donnée (data quality) : comprendre que la qualité de la sortie (output) dépend de la qualité de la donnée d'entrée (input).

Répétons-le, il ne s'agit pas de devenir un technicien de la donnée, mais d'intégrer certains outils de la data science pour transformer cet actif de l'entreprise, qu'est son capital éditorial, en une contribution mesurable à la création de valeur par l'entreprise.

Vers une transformation nécessairement méthodologique

Abonner les équipes de communicants à ChatGPT ou à Gemni n'est pas une stratégie IA. C'est, au mieux, un gain de confort individuel, poste par poste.

La véritable transformation est méthodologique. Elle nécessite de repenser la gouvernance de vos contenus et d'accepter que le métier de communicant a changé. Il est devenu plus technique, plus analytique, mais plus stratégique aussi.

Chez Youmean, nous croyons que cette transition vers une compréhension renouvelée de l'IA par les directions de la communication permettra de revaloriser les métiers de la communication.